COMMUNIQUE DE PRESSE 18/10/2024 – Lancement de la Coalition pour une Loi Intégrale contre les Violences Sexuelles
18 octobre 2024Mardi de la CLEF #37 : Soirée Electorale Féministe !
21 octobre 2024Revue de presse féministe & internationale du 14 au 18 octobre
TURQUIE
“Les féminicides sont politiques” : Des manifestations massives suite à un double féminicide en Turquie.
Le 4 octobre 2024, un double féminicide a eu lieu à Istanbul, en Turquie. Semih Çelik, un jeune homme de 19 ans, a tué deux de ses anciennes camarades de lycée, Ayşegül Halil et İkbal Uzuner, à trente minutes d’intervalle avant de se donner la mort.
Semih Çelik les harcelait depuis le lycée. La mère d’une des victimes avait demandé un suivi judiciaire et les jeunes filles avaient porté plainte pour harcèlement, sans résultat. Lors de la perquisition au domicile de Semih Çelik, les enquêteur·ices ont découvert un cahier contenant des dessins de silhouettes de femmes, dont un corps nu démembré ainsi que de nombreux livres aux contenus violents. L’année dernière, il avait enregistré une vidéo pour İkbal Uzuner, déclarant : « Je veux ôter une vie avant de prendre la mienne, et je voulais que ce soit toi ». Malgré tous ces signes inquiétants, aucune mesure n’a été prise pour protéger les victimes.
Ce tragique événement s’inscrit dans une vague alarmante de violences contre les femmes dans le pays. Depuis le début de l’année 2024, 297 féminicides ont été recensés, auxquels s’ajoutent plus de 160 autres décès classés comme « morts suspectes », souvent considérés comme des suicides ou des accidents.
Le 27 février 2024, la Turquie a enregistré sept féminicides en seulement 24 heures. Le double féminicide du 4 octobre a déclenché une série de manifestations à travers tout le pays, de Diyarbakir à Istanbul, en passant par Eskisehir, İzmir, et Bolu.
« Les féminicides sont politiques » est le mot d’ordre de ces manifestations.
Le samedi 5 octobre, à Istanbul, des centaines de femmes ont manifesté pour dénoncer le fléau des féminicides et pointer du doigt la responsabilité des autorités. « Erdogan assassin ! AKP assassin ! » ont crié certaines manifestantes, visant directement le président Recep Tayyip Erdogan et son parti, au pouvoir depuis 2002. Günes Fadime Aksahin, une des leaders de la mobilisation, a déclaré : « Vous êtes un gouvernement qui laisse les jeunes filles se faire tuer ». Gülizar Sezer, mère d’une jeune femme retrouvée morte à Istanbul en juin, a également pris la parole : « Je veux que nos filles cessent d’être massacrées ».
Les manifestantes portaient des pancartes aux messages directement adressés au gouvernement : « Ministres, ouvrez les yeux, les femmes sont tuées ici », « La violence ne doit plus rester impunie ». La marche, soutenue par le principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), ainsi que par le Parti démocratique des peuples (HDP) pro-kurde et de nombreuses organisations non gouvernementales, réclamait également le retour de la Turquie dans la Convention d’Istanbul. Cette convention du Conseil de l’Europe, dont la Turquie s’est retirée en 2021, impose aux pays signataires d’enquêter sur les violences faites aux femmes et de les sanctionner.
Quand le président Erdogan glorifie la famille traditionnelle, où se produisent pourtant la majorité des violences, et valorise les femmes principalement comme mères, il ignore la réalité du patriarcat dominant. Bien que des mesures répressives aient été évoquées pour durcir les peines liées aux violences, les réponses de l’État, comme le blocage de la plateforme Discord, sont jugées insuffisantes par les militantes. Elles réclament des actions plus profondes et structurelles pour protéger les femmes.
Après avoir d’abord blâmé l’alcool et les réseaux sociaux, le président Erdogan a promis mercredi de renforcer les lois sur les violences faites aux femmes. Il a toutefois défendu son retrait de la Convention d’Istanbul qui n’a, selon lui, rien ôté aux droits des femmes, et que l’alcool restait la principale cause des violences.
Les ONG féministes en Turquie dénoncent un système défaillant dans la protection des femmes. Elles pointent du doigt les commissariats, où les plaintes des victimes ne sont pas toujours prises au sérieux, et les tribunaux, où certain·es juges continuent d’accorder des réductions de peine pour « bonne conduite » ou dédramatisent et justifient les actes des auteurs de féminicides. Les féministes accusent les autorités, soulignant que malgré des lois existantes, le gouvernement privilégie la protection de la famille, perçue comme menacée par les mouvements féministes. Face aux récentes violences, le ministre de la Justice a promis de revoir les allégements de peine et la liberté conditionnelle pour lutter contre l’impunité.
MEXIQUE
Election de Claudia Sheinbaum : Première présidente femme du Mexique.
Le Mexique a tourné une page de son histoire le 2 juin 2024 en élisant Claudia Sheinbaum, première présidente femme du pays, avec un score impressionnant d’environ 60 % des voix.
Cette victoire est d’autant plus marquante dans un pays où le machisme est profondément enraciné et où la violence contre les femmes est endémique. Claudia Sheinbaum, en fonction depuis une semaine, incarne ainsi une figure d’espoir pour les mouvements féministes du pays.
En devenant la première femme à diriger le Mexique, le plus grand pays hispanophone du monde, Claudia Sheinbaum succède à 65 présidents hommes et rejoint un groupe encore limité de femmes cheffes d’État ou de gouvernement. Le Royaume-Uni, avec Margaret Thatcher et plus récemment Theresa May, et les pays nordiques, souvent cités en exemple pour leur égalité des sexes, comptent plusieurs femmes au pouvoir, dont Sanna Marin en Finlande et Katrín Jakobsdóttir en Islande. L’Allemagne, elle, a été dirigée pendant 16 ans par Angela Merkel. En revanche, la France, les États-Unis, et bien d’autres manquent encore à l’appel.
Avec l’élection de Claudia Sheinbaum, le Mexique rejoint des pays comme l’Argentine (avec Isabel Perón et Cristina Fernández de Kirchner), le Brésil (avec Dilma Rousseff), et le Chili (avec Michelle Bachelet), qui ont déjà vu des femmes accéder à la plus haute fonction. C’est un tournant crucial dans un pays marqué par une violence structurelle contre les femmes. En effet, sept femmes sur dix au Mexique déclarent avoir été victimes de violence au cours de leur vie, et les féminicides représentent une crise nationale. Dans ce contexte, l’élection de Claudia Sheinbaum résonne comme un symbole puissant.
Cependant, son engagement féministe a suscité des critiques. Durant sa campagne, certain·es militant·es ont souligné le fossé entre ses promesses et son bilan en tant que maire de Mexico. Bien qu’elle ait parfois surestimé ses réalisations, Sheinbaum s’est engagée à créer un parquet spécialisé pour les féminicides et à améliorer la formation des enquêteur·rices pour traiter ces affaires de manière plus efficace. Elle souhaite également renforcer les mesures de protection, notamment en facilitant l’expulsion des hommes violents du foyer.
Le principal défi de Claudia Sheinbaum, cependant, sera de lutter contre les cartels de la drogue, un fléau qui gangrène le pays depuis des décennies. En effet, en plus de semer la terreur et l’insécurité, les cartels sont coupables de violences à l’égard des femmes, utilisant la violence contre les femmes pour contrôler les territoires, intimider les communautés, et régler des conflits internes. Les femmes des milieux précaires sont particulièrement vulnérables à ces violences, souvent ignorées par les autorités en raison de la corruption et des représailles des cartels. Les femmes sont particulièrement touchées par ce phénomène, avec 52 % d’entre elles vivant dans la pauvreté, contre 48 % des hommes. Ce phénomène, appelé « féminisation de la pauvreté », résulte de facteurs tels que: des salaires plus bas, une participation plus faible au marché du travail, une surreprésentation dans les tâches domestiques, etc.
Claudia Sheinbaum, avec son slogan « C’est le temps des femmes et de la transformation », marque un tournant historique pour le Mexique. Elle doit désormais prouver, durant les quatre prochaines années, que ce changement va bien au-delà du symbole.
FRANCE
Nouveau rapport du Sénat sur les inégalités et les violences subies par les femmes sans-abri en France.
Quatre sénatrices membres de la délégation aux droits des femmes du Sénat Agnès Evren, Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol ont publié un rapport d’information : « Femmes sans abris, la face cachée de la rue ».
En 2024 en France, sur les 330 000 personnes sans domicile, 120 000 sont des femmes. Alors qu’elles ne représentaient que 2 % des sans-abris en 2001, elles constituent désormais 40 % des personnes sans domicile. Parmi elles, il y a des mères isolées, des femmes avec des troubles psychiatriques, des femmes victimes de violence, des femmes en situation de pauvreté financière, des femmes réfugiées… La majorité de ces femmes vivent dans des hébergements d’urgence, mais c’est une solution souvent temporaire, avec des séjours limités à quelques jours, rendant difficile l’accès à un logement stable. Chaque soir, environ 3 000 femmes et 3 000 enfants sans-abri dorment dans la rue.
Les femmes sans abri sont sur-exposées aux violences. Aurélie Tinland, médecin-psychiatre à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille explique dans le rapport :
« Au bout d’un an passé dans la rue, 100 % des femmes ont subi un viol, peu importe leur âge ou leur apparence. Pour elles, c’est un traumatisme parmi d’autres » (page 8).
Les femmes sans-abri sont aussi particulièrement vulnérables à l’exploitation sexuelle, notamment des hommes qui conditionnent leur hébergement à un acte sexuel. Un quart des sans-abri nées en France ont été suivi par l’aide sociale à l’enfance (ASE), et les jeunes femmes qui en sortent sont particulièrement exposées au risque de la prostitution. Des recherches sociologiques basées montrent que les femmes sans domicile sont plus nombreuses à avoir subi des violences avant l’âge de 18 ans que les hommes : 36 % contre 19 % chez les hommes. Le rapport préconise le renforcement de l’accompagnement des jeunes femmes vulnérables, au-delà de leur majorité.
Parmi les recommandations du rapport, plusieurs visent à renforcer la protection des femmes sans abri contre les violences sexuelles, notamment en sensibilisant les forces de l’ordre à cette problématique. Les rapportrices alertent sur le manque de ressources et de moyens alloués à la lutte pour un hébergement digne pour toutes : Laurence Rossignol a déclaré que « le système est embolisé, l’offre ne suit pas la demande, il faut retrouver une politique du logement ». Elle critique la politique « inhumaine » du gouvernement et a demandé la création de 10 000 places d’hébergement supplémentaires pour les femmes isolées. Elles recommandent également de systématiser les analyses ségmentées par sexe, d’améliorer l’accès aux professionnel·les de santé notamment en santé gynécologique et en santé mentale, et de revaloriser la profession et le statut de travailleur·euse social·e.
Retrouvez l’intégralité du rapport en cliquant ici.
INTERNATIONAL
Femmes et prix Nobel : un parcours semé d’injustices.
Depuis sa création en 1901, le prix Nobel est considéré comme l’une des distinctions les plus prestigieuses au monde, récompensant les plus grands accomplissements dans les domaines de la physique, de la chimie, de la médecine, de la littérature, et de la paix, ainsi que l’économie, ajouté en 1969. Pourtant, une analyse des données montre que le prix Nobel, souvent perçu comme un miroir des grandes avancées humaines, reflète également de graves inégalités entre les sexes dans les domaines scientifiques et intellectuels.
En effet, seules 6,3 % des distinctions ont été attribuées à des femmes entre 1901 et 2022, un chiffre alarmant qui souligne à quel point le travail des femmes est systématiquement invisibilisé.
Le prix Nobel a été créé selon les dernières volontés d’Alfred Nobel, inventeur suédois de la dynamite, avec pour objectif de récompenser les individus et organisations ayant apporté les plus grandes contributions à l’humanité. Cependant, dans le contexte de l’époque, le monde scientifique et intellectuel était largement dominé par les hommes. Ce déséquilibre historique s’est ensuite perpétué, influençant les décisions du comité Nobel pendant des décennies. Entre 1901 et 2022, seuls 60 prix Nobel ont été remis à des femmes contre 894 à des hommes, selon une enquête du site Statista.
Ces statistiques sont d’autant plus frappantes si l’on regarde seulement les disciplines scientifiques: sur plus de 600 prix Nobel attribués dans les catégories de la physique, de la chimie et de la médecine, seulement 26 ont été décernés à des femmes. Plus précisément, 13 femmes ont été récompensées en médecine, 8 en chimie, et seulement 5 en physique sur les 221 lauréat·es dans cette catégorie.
L’injustice qui entoure l’attribution des prix Nobel est symbolisée par ce que l’on appelle l’effet Matilda, un phénomène qui décrit la tendance historique à minimiser ou ignorer les contributions des femmes scientifiques au profit de leurs collègues masculins. Un exemple tristement célèbre est celui de la physicienne autrichienne Lise Meitner, qui a co-découvert la fission nucléaire avec Otto Hahn. Alors que Hahn a reçu le prix Nobel de chimie en 1944, Meitner, pourtant essentielle à cette découverte, a été écartée de la récompense.
Un autre exemple frappant est celui de Rosalind Franklin, une biochimiste britannique dont les recherches sur la diffraction des rayons X ont été cruciales à la découverte de la structure en double hélice de l’ADN. Ses données, notamment la célèbre “Photo 51”, ont permis à James Watson et Francis Crick de formuler leur modèle, mais ce sont eux qui ont reçu le prix Nobel en 1962. Décédée en 1958, Franklin n’a reçu aucun crédit.
L’histoire du prix Nobel est jonchée d’exemples de femmes écartées des honneurs malgré des contributions majeures. Certaines ont toutefois été récompensées, la première étant Marie Curie.
La première femme à recevoir un prix Nobel fut la physicienne et chimiste franco-polonaise Marie Skłodowska-Curie. Elle a reçu non pas un, mais deux prix Nobel: le premier en physique en 1903, partagé avec son mari Pierre Curie et Henri Becquerel pour leurs travaux sur la radioactivité, et le second en chimie en 1911 pour ses recherches sur le polonium et le radium. Marie Curie reste à ce jour la seule personne, homme ou femme, à avoir reçu des prix Nobel dans deux disciplines scientifiques différentes.
D’autres femmes ont suivi ses traces, bien que leur nombre soit resté désespérément faible. L’année dernière, par exemple, la physicienne franco-suédoise Anne L’Huillier a rejoint le cercle très restreint des lauréates en physique, devenant seulement la cinquième femme à être récompensée dans cette discipline. Ce prix souligne une fois de plus l’immense retard pris dans la reconnaissance des femmes dans ce domaine.
Le faible nombre de femmes lauréates du prix Nobel est symptomatique d’un problème plus profond : la marginalisation des femmes dans les domaines scientifiques, longtemps dominés par des hommes. Les femmes, même lorsqu’elles contribuent à des découvertes révolutionnaires, se voient souvent refuser la reconnaissance pour leur travail. Ce phénomène est renforcé par le fait que les comités Nobel se concentrent souvent sur des individus plutôt que sur des équipes, ce qui contribue à l’exclusion des femmes dans des découvertes collaboratives.
Il est également important de rappeler que la culture du sexisme dans le monde scientifique n’est pas propre au prix Nobel. Pendant des siècles, les femmes ont dû se battre pour accéder à l’éducation, aux financements et à la reconnaissance dans une société patriarcale. En 2024 encore, la large majorité des prix Nobel ont été décernés à des hommes : une seule femme, Han Kang, a reçu le prix Nobel de littérature.
Le prix Nobel, malgré son prestige, est aussi le reflet des inégalités entre les sexes dans le monde scientifique. L’effet Matilda, qui efface ou minimise les contributions des femmes au profit de leurs collègues masculins, a longtemps marqué cette institution. Des pionnières comme Marie Curie, Anne L’Huillier, et tant d’autres ont néanmoins réussi à briser ce plafond de verre, laissant entrevoir un espoir pour les futures générations de femmes scientifiques. Mais pour que ces changements soient durables, il est essentiel que la reconnaissance des femmes ne soit plus l’exception, mais la norme.
https://www.caminteresse.fr/histoire/combien-de-femmes-ont-recu-le-prix-nobel-11190363/
https://fr.statista.com/infographie/23168/repartition-prix-nobel-par-sexe-et-par-categorie/