Revue de presse féministe & internationale du 23 au 27 septembre
27 septembre 2024Résumé du rapport de Reem Alsalem sur la violence à l’égard des filles et des femmes dans le sport
11 octobre 2024Revue de presse féministe & internationale du 30 septembre au 4 octobre
BOLIVIE
Une redéfinition des codes de l’alpinisme en Bolivie
Cecilia Llusco est l’une des premières femmes alpinistes indigènes aymaras en Bolivie.
Depuis six ans, Cecilia Llusco dirige des expéditions sur le Huayna Potosí ainsi que sur d’autres montagnes de Bolivie. C’est en accompagnant son père guide de randonnée au camp de base du Huayna Potosí que le rêve de gravir cette montagne est né. « À chaque fois que je venais, je me disais : « Quand je serai grande, je rencontrerai peut-être un guide et je pourrai monter avec lui » ». Elle pratique son métier vêtu de la traditionnelle pollera, une jupe fleurie volumineuse qui fait partie de l’identité culturelle des femmes autochtones en Amérique du Sud. « Je n’ai jamais porté de pantalon pour gravir une montagne et je ne le ferai jamais. Nos polleras ne nous gênent pas », déclare-t-elle, ajoutant que « la lutte contre le sexisme a été très difficile. Nous avons rencontré des obstacles parce que nous sommes des femmes qui portons des polleras ».
Cette détermination à préserver ses traditions a guidé Cecilia tout au long de sa carrière d’alpiniste, faisant d’elle une pionnière dans un domaine où sa tenue, portée exclusivement par des femmes, s’oppose aux normes conventionnelles de l’alpinisme. Le 17 décembre 2015, elle a marqué l’histoire en faisant partie d’un groupe de 11 femmes, surnommé les cholitas escaladoras (les cholitas grimpeuses), ayant atteint le sommet de cette montagne mythique culminant à 6 088 mètres. Ce fut un événement marquant pour ces femmes, qui ont fait la une des journaux après avoir conquis plusieurs sommets dans la Cordillère Royale.
Le terme cholita vient de chola, autrefois utilisé de manière péjorative pour désigner les femmes autochtones aymaras. Cependant, ces grimpeuses se sont réappropriées ce terme avec fierté, démontrant ainsi leur force et leur résilience. Quant au Huayna Potosí, dont le nom signifie « jeune montagne » en aymara, il est considéré comme sacré par la population locale. Avant chaque ascension, les habitants effectuent des offrandes de feuilles de coca et d’alcool pour demander la permission de gravir ses flancs.
Aujourd’hui, Cecilia Llusco et ses collègues guides aymaras redéfinissent les codes du tourisme en Bolivie, un secteur traditionnellement masculin. Bien qu’elle ait dû surmonter de nombreux obstacles pour s’imposer dans ce milieu, elle aspire désormais à voyager à l’étranger pour approfondir ses compétences. « Au début, c’était dur, les hommes me regardaient bizarrement, comme si je n’étais pas à ma place », dit-elle. « Aujourd’hui encore, il arrive souvent que je sois la seule femme, ou l’une des rares, à travailler sur la montagne ».
Même si la population indigène bénéficie d’une plus grande reconnaissance depuis l’élection d’Evo Morales en 2006, le premier président indigène du pays, la Bolivie avait toujours l’un des taux de féminicides les plus élevés d’Amérique du Sud en 2021. Dans ce contexte, les cholitas escaladoras s’inscrivent dans un mouvement plus large pour les droits des femmes indigènes, un combat qui dure depuis les années 1960. Ce mouvement inclut également les cholitas luchadoras (lutteuses) et les cholitas patineuses, qui se battent pour leur place dans des domaines autrefois réservés aux hommes. Aujourd’hui, les cholitas escaladoras, divisées en trois groupes, jouissent d’une reconnaissance mondiale pour leurs exploits. En 2019, le documentaire Cholitas a suivi cinq d’entre elles lors de leur ascension de l’Aconcagua, la plus haute montagne d’Amérique du Sud, située en Argentine. Leur prochain défi est de gravir le mont Everest. Mais elles doivent d’abord rassembler les fonds nécessaires pour financer l’expédition.
Ainsi, bien que les cholitas escaladoras représentent une avancée significative pour les droits des femmes indigènes en Bolivie, leur ascension vers une plus grande visibilité s’inscrit dans un paysage touristique complexe, où les défis environnementaux et sociaux, tels que la pollution et les conditions précaires des sherpas, viennent s’ajouter à la lutte pour l’égalité.
Le tourisme en montagne de haute altitude contribue au réchauffement climatique mais également à la pollution, comme l’illustre le documentaire « Kaizen – Un an pour gravir l’Everest » du YouTuber de 22 ans Inoxtag. Cet homme s’est lancé le défi de gravir l’Everest après seulement un an d’entraînement, sans aucune expérience préalable en alpinisme, et de réaliser un documentaire pour retracer son ascension. Dans ce reportage de deux heures, on voit que la situation au Mont Everest est particulièrement préoccupante. Le “sherpas” sont contraints de mettre leur vie en danger en grimpant cette montagne, plusieurs fois par an, afin de percevoir de l’argent et nourrir leur famille. En plus des enjeux sociaux et de droits humains évidents, le sur-tourisme généré par la hausse des personnes (souvent très fortunées) qui se donne pour défi de grimper le Mont Everest entraîne des bouchons dangereux au sommet, augmentant le risque d’accidents, ainsi qu’une accumulation de déchets dans les camps en haute altitude, souvent impossibles à redescendre. Les excréments humains s’accumulent, polluant la nature et menaçant la santé des habitants environnants. De plus, les nombreux allers-retours en hélicoptère accentuent la pollution de l’air. Surtout, ce reportage nous montre la dimension genrée de l’alpinisme ; dans son reportage de près de 2 heures où l’on suit le jeune homme dans son ascension, on se rend compte qu’il grimpe le Mont Everest avec une dizaine d’autres personnes (cameraman, sherpas, compagnon d’alpinisme…) , tous des hommes. L’alpinisme devient alors, pour Cecilia Llusco comme pour d’autres, un lieu de lutte pour la préservation des écosystèmes mais également, un lieu de lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
COREE DU SUD
La lutte contre les deepfake porn en Corée du Sud
Les législateur·ices coréen·nes réagissent face à l’ampleur des réseaux de canaux de deepfake porn sur Telegram.
En août 2024, les autorités sud-coréennes ont découvert un vaste réseau de canaux sur Telegram, souvent créés dans des écoles et universités, à travers lesquels étaient partagés des vidéos et photos pornographiques truquées, appelées deepfake porn. Ces contenus, générés par l’intelligence artificielle, superposent les visages de victimes, majoritairement des femmes, sur des images explicites (corps nu ou sexualisés). Selon la police, 60 % des victimes et 80 % des auteurs étaient mineurs. Les poursuites sont compliquées du fait que les tribunaux délivrent rarement des mandats d’arrêt pour les mineurs, et les sanctions restent souvent légères. Cette découverte s’inscrit dans une tendance préoccupante puisqu’en 2023, plus de 800 affaires de deepfakes ont été enregistrées par la police, un chiffre en forte hausse par rapport aux 156 cas recensés en 2021. La plupart des auteurs et des victimes dans ces affaires était également des adolescent·es.
Depuis cette découverte, de nombreuses manifestations ont éclaté en Corée du Sud. Des milliers de femmes masquées, portant des pancartes, protestent contre la prolifération des deepfakes et exigent des sanctions plus sévères. Ce mouvement, initié fin août, s’est intensifié après que les autorités ont révélé l’ampleur des contenus diffusés via Telegram. Le 21 septembre, plus de 6 000 personnes ont manifesté à Séoul sous la bannière de l’organisation « Joint Action to Condemn Misogynistic Violence », réclamant une réponse judiciaire et législative plus stricte. Les manifestant·es ont scandé des slogans tels que « Nos vies ne sont pas votre pornographie » ou encore « Ceux qui les font, ceux qui les vendent, ceux qui les regardent, punissez-les tous ».
Ces abus sont banalisés dans un pays parmi les leaders mondiaux en connectivité internet, mais sans une répression adéquate. Les filles et les femmes vivent dans la crainte, allant même jusqu’à supprimer leurs photos publiées sur les réseaux sociaux par peur qu’elles soient utilisées et tronquées.
En réponse aux pressions, les législateur.rices sud-coréen.nes ont adopté fin septembre un projet de loi criminalisant la possession, le visionnage et le partage de ces images falsifiées. Le texte responsabilise l’État pour la suppression des vidéos en ligne, augmente la peine maximale pour les coupables de création de deepfakes à caractère sexuel et oblige l’ouverture de centres d’aide aux victimes. Ce projet de loi a été soutenu par le gouvernement et l’opposition. Cependant, il est encore en attente de la signature du président Yoon Suk Yeol, qui a été vivement critiqué pour avoir blâmé le féminisme pour le faible taux de natalité dans le pays, encourageant ainsi des comportements hostiles envers les femmes.
Ce n’est pas la première fois que Telegram est au cœur d’un scandale similaire. En 2020, le réseau Nth Room sur cette messagerie cryptée, impliqué dans des violences et exploitations sexuelles, avait été démantelé. Dans ce contexte, les autorités sud-coréennes avaient lancé une enquête pour déterminer si Telegram avait contribué à la diffusion de ces contenus. Longtemps réticente, la plateforme a finalement changé sa politique et, le 30 septembre 2024, le régulateur des télécommunications sud-coréen a annoncé que Telegram avait accepté de collaborer.
Sous la supervision de la Commission coréenne des standards des communications (KCSC), Telegram s’est engagé à adopter une politique de tolérance zéro face aux crimes de deepfakes sexuels. En un mois, la plateforme a supprimé 148 vidéos à la demande des autorités et a fourni des retours rapides sur ces actions, a précisé Ryu Hee-lim, président de la KCSC.
Ce phénomène ne se limite pas à la Corée du Sud. En France, Pavel Durov, le fondateur de la plateforme, a été interpellé par les autorités françaises en août, en raison de la prolifération d’images d’exploitation sexuelle de mineur·es sur sa plateforme. Suite à cette arrestation, un procès d’envergure s’est ouvert en septembre 2024, où dix personnes sont jugées pour avoir administré des canaux de diffusion de contenus pédopornographiques sur Telegram. L’avocate Nathalie Bucquet, a vivement critiqué la messagerie Telegram, la qualifiant de « seule entreprise numérique à ne pas participer aux programmes internationaux de lutte contre la pédocriminalité ». Telegram a depuis annoncé qu’il fournirait désormais des informations sur ses utilisateurs aux autorités.
https://edition.cnn.com/2024/09/26/asia/south-korea-deepfake-bill-passed-intl-hnk/index.html
AUTRICHE
Elections autrichiennes : un reflet inquiétant des menaces sur les droits des femmes en Europe
Les élections législatives du 29 septembre 2024 en Autriche ont été marquées par la victoire de l’extrême droite avec 29,8% des voix.
L’extrême droite autrichienne, longtemps délaissée par les électrices, a réussi à séduire un nombre croissant de femmes. Le FPÖ (Parti de la liberté d’Autriche), historiquement dominé par les hommes, a connu une augmentation notable du soutien féminin sous la direction de Herbert Kickl, nommé à la tête du parti en 2021. Lors des élections européennes de juin dernier, 24 % des femmes ont voté pour ce parti, réduisant l’écart avec les électeurs masculins. Le FPÖ présente une liste électorale plus équilibrée en termes de représentation femmes-hommes, bien qu’il reste le parti le moins féminisé du pays.
La stratégie politique du parti consiste à lier une dite “lutte” des violences faites aux femmes à une “lutte” contre l’immigration. Selon le parti, les hommes immigrés sont la principale cause de l’insécurité des femmes. Des mesures comme l’augmentation de la présence policière ou l’organisation de cours d’autodéfense gratuits renforcent ce discours. De plus, le parti est fermement opposé aux droits sexuels et reproductifs et aux droits LGBTQIA+. Il prône une politique nataliste centrée sur le couple hétérosexuel et critique violemment les mouvements féministes et LGBTQIA+, qu’il accuse de « propagande » et de « lavage de cerveau ». Dans la région de Salzbourg, gouvernée par l’extrême droite, une campagne d’information sur l’adoption et le placement en famille d’accueil est prévue comme alternative à l’avortement, accompagnée d’une étude sur les raisons des interruptions de grossesse.
En parallèle, le parti défend une politique nataliste et une vision traditionnelle de la famille. Le modèle de la mère au foyer reste central dans leur discours, avec une insistance sur la liberté pour les femmes de choisir de se consacrer à l’éducation de leurs enfants. Toutefois, les mesures concrètes pour soutenir l’égalité professionnelle ou le congé de paternité restent absentes de leur programme.
Birgit Sauer politologue autrichienne et spécialiste des questions de genre explique les raisons de la popularité nouvelle du FPÖ auprès des femmes :
« En Autriche, les femmes doivent travailler pour participer aux dépenses du foyer, mais dans le même temps, l’idée qu’elles sont responsables des enfants est encore fortement implantée et il y a trop peu de places de garde. C’est une situation difficile où elles doivent être actives, tout en ne sachant pas quoi faire de leurs enfants. » « Le FPÖ vient leur dire qu’elles pourront rester chez elles auprès de leurs enfants et auront une petite compensation ».
Le FPÖ parvient à capter l’attention de femmes déstabilisées par les changements sociaux et économiques.
Le rapport d’Equipop publié suite aux élections européennes de juin 2024, montre que la montée de l’extrême droite en Europe s’accompagne d’un anti-féminisme marqué qui s’oppose aux droits des femmes et des personnes LGBTQIA+. Malgré des différences nationales, les partis d’extrême droite partagent des idées et valeurs communes, incluant le rejet des droits sexuels et reproductifs. Les eurodéputé·es de ces partis adoptent souvent une position d’opposition ou d’abstention sur des textes favorisant l’égalité des sexes, même concernant des sujets généralement consensuels comme l’égalité salariale et le harcèlement sexuel. En parallèle, ces partis promeuvent un agenda anti-immigration et s’opposent à des actions contre le changement climatique. Le résultat des élections législatives en Autriche confirment la tendance à la montée de l’extrême droite en Europe, déjà observée lors des élections européennes de juin 2024.
FRANCE
La relance d’une commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma
L’Assemblée nationale s’apprête à relancer ses commissions d’enquête sur les violences sexuelles dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.
Cette initiative fait suite à l’adoption à l’unanimité, le 2 mai 2024, d’une proposition de création d’une commission d’enquête, demandée par l’actrice et réalisatrice Judith Godrèche lors d’une audition parlementaire. Son engagement a contribué à libérer la parole concernant les violences subies par les mineur·es dans le cinéma. Elle a également dénoncé les cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour des actes de violences sexuelles.
Le 14 mars dernier, suite aux révélations de Judith Godrèche, la députée écologiste Francesca Pasquini a proposé une résolution transpartisane. Cette proposition visait à créer une commission d’enquête sur la situation des mineur·es dans les industries du cinéma, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. L’objectif était de dresser un état des lieux des violences commises dans ces secteurs, d’identifier les mécanismes et défaillances qui permettent ces abus, et d’établir les responsabilités des différents concernés.
Cependant, les travaux de la commission avaient été interrompus en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024. Le processus législatif doit donc repartir de zéro, avec deux nouvelles propositions de résolution qui seront débattues le 9 octobre 2024 dans l’hémicycle. Avant cela, les commissions des Affaires sociales et des Affaires culturelles se réuniront respectivement pour désigner un rapporteur sur les « manquements des politiques publiques de protection de l’enfance » et examiner la proposition de résolution déposée par le député MoDem Erwan Balanant le 20 août 2024.
La députée socialiste Céline Thiébault-Martinez, l’une des initiatrices de la proposition de résolution, a déclaré sur X :
« Le rétablissement de cette commission d’enquête est plus nécessaire que jamais, face à l’afflux constant de témoignages sur les abus perpétrés dans ces milieux. Le dernier (de l’actrice Marianne Delicourt mise à l’écart du monde du cinéma) date du mois d’août ! ». « De par ses prérogatives spécifiques (droit de citation directe, pouvoir d’investigation sur pièces et sur places…), la commission enquêtera sur ces domaines où à défaut d’une réglementation les corps sont trop souvent marchandisés, sexualisés et exploités ».