La Convention d’Istanbul : #11 La collecte des données
18 août 2020Chiffres clés des inégalités femmes/hommes
8 septembre 2020Tribune libre – Huguette Klein
Où sont les éboueuses ?
Mi-mars 2020 : un virus, déjà présent depuis quelque temps, nous terrasse et nous oblige à nous « confiner » chez nous. Ce qui pour moi a eu comme conséquence d’annuler, ou, espérons-le, de reporter à des temps meilleurs, toutes les interventions scolaires prévues dans le cadre des activités de REFH (Réussir l’égalité femmes-hommes). Nous avions de nombreuses demandes dans les écoles élémentaires, collèges, lycées généraux et professionnels. Et, comme chaque année, en mars particulièrement.
Pendant cette période étrange qui s’allongeait, comme beaucoup, j’ai eu le temps de réfléchir, de lire, d’écouter, de communiquer Je me suis particulièrement intéressée aux articles concernant les femmes : les soignantes en première ligne, les violences conjugales qui ont fortement augmenté, la répartition des tâches familiales, la prostitution ainsi qu’aux réactions à ces articles que j’ai pu glaner ça et là.
Tous ces thèmes sont évoqués, discutés lors des interventions en collèges et lycées et du coup j’ai repensé aux questionnements et aux réactions des élèves. En quoi diffèrent-elles de celles de nombreux adultes ? Et aussi comment mieux leur répondre ?
Lorsque je demande à ces jeunes de citer des exemples d’inégalité entre femmes et hommes, la première chose qui leur vient à l’esprit est presque toujours l’inégalité des salaires, et on en arrive forcément à évoquer la non-mixité de nombreux métiers. Notamment tous les métiers du care exercés par des femmes. Métiers sous-payés car le soin aux autres serait une compétence naturelle des femmes. C’est cette présence majoritaire des femmes dans ces métiers qui est une des causes des 18,5 % en moins pour les femmes (salaire moyen en équivalent temps plein – source : chiffres-clés 2019). Que ce thème soit évoqué en classe ou dans des tribunes telles que Coronavirus : Il faut « revaloriser les emplois et carrières à prédominance féminine » (le 18 avril 2020 dans le Monde), j’ai retrouvé une réaction commune : où sont les femmes éboueuses ? Afin de pouvoir mieux répondre aux élèves, j’ai fait quelques recherches, empiriques, sur les aides-soignant·es et les éboueuses/éboueurs, deux métiers très exigeants aussi bien physiquement que moralement.
Salaires et répartition par sexe :
salaire moyen à temps plein | répartition par sexe | |
éboueurs | 1755 € net / mois | 88 % |
éboueuses | 1602 € net / mois | 12 % |
aides-soignants | 1871 € net / mois | 9 % |
aides-soignantes | 1812 € net / mois | 91 % |
Les salaires de ces deux métiers sont proches. Il semble donc que cette non-mixité relève avant tout de stéréotypes sur ce qui serait féminin ou masculin, véhiculés depuis longtemps et entretenus par l’éducation, l’orientation. Il faut aussi s’interroger sur la perception des un·es et des autres quand une profession commence à ne plus être le monopole d’un sexe. Dans Être éboueur-e à Paris (Travail, genre et sociétés 2015/1 (n° 33)) Stéphane Le Lay évoque la difficile féminisation d’un « bastion masculin » : Problèmes relationnels d’abord : exclusion des relations informelles, formes variées de vexation plus ou moins agressives – harcèlement sexuel compris –, paternalisme appuyé, hostilité déclarée, plus rarement ignorance totale …remarques misogynes et sexistes alimentées par la croyance de certains éboueurs en l’existence « de favoritisme et de promotion canapé ». Il note aussi que la présence de femmes aurait changé les relations des éboueurs avec les usager·es de l’espace public : Toutes les discussions portant sur les relations agressives, voire violentes, avec les usagers de l’espace public ont ainsi tourné autour des comportements masculins. À aucun moment les femmes (stagiaires ou passantes) n’ont été présentées comme capables d’usage de la violence verbale ou physique.
Clotilde Lemarchant dans Unique en son genre. Filles et garçons atypiques dans les formations techniques et professionnelles (PUF 2017) étudie l’accueil et l’intégration de ces jeunes atypiques lors de leurs études. Elle note :
Davantage de difficultés d’intégration pour les filles dans des sections masculines que le contraire.
Résistances ou réactions de la part des garçons de leur classe:
- « Tu es une fille, tu ne vas pas finir l’année ! Tu ne vas pas y arriver !” » (seconde de BEP structure métallique) »
- « Tu n’as rien à foutre là ! Tu n’es pas faite pour ça !” » (terminale de bac pro maintenance des équipements industriels) »
- « Les femmes n’ont pas le droit de parler ! Une femme, c’est fait pour rester à la maison, faire le ménage et s’occuper des enfants”. Ça, on nous le dit assez souvent !» (Anne-Claire, seconde de bac STI option mécanique). »
À la différence des filles minoritaires, les garçons minoritaires se sentent choyés:
- Ils apprécient les qualités traditionnellement dévolues aux filles et aux femmes : notamment la qualité de l’écoute dans les conversations et le sérieux dans le travail scolaire. Beaucoup de garçons soulignent la qualité et la variété des sujets de discussion, la possibilité de parler de questions et de problèmes personnels avec les personnes de leur classe. À les entendre, avec les filles, la parole se libère. « On est mieux avec les filles. Avec les garçons, on ne parle que de motos. Avec les filles, on parle d’autre chose », dit Cédric, en seconde BEP bio-service. »
- Les garçons apprécient aussi la présence des filles pour le sérieux qu’elles garantissent durant la formation »
Les garçons minoritaires ne revendiquent pas l’appartenance à une « culture féminine ». Beaucoup regrettent de se fondre dans le paysage féminin et refusent de rester invisibles en tant que garçons : ils disent qu’ils reprennent les enseignant(e)s qui parlent au féminin en englobant toute la classe.
Cette pandémie nous a rappelé – car nous les savions déjà – que ces métiers indispensables à la société doivent à la fois être revalorisés et non genrés..
Augmenter les salaires est sans doute plus facile que de lutter contre les stéréotypes qui régissent l’orientation des élèves. D’où toujours la nécessité de l’éducation à l’égalité filles-garçons dans les écoles, à la formation de tous les personnels d’éducation. Les jeunes ayant tendance à choisir en fonction de ce qu’elles et ils connaissent déjà, leur montrer des modèles autres peut les amener à modifier leurs choix.
Les témoignages de Christine et d’Aicha mettent en évidence que c’est l’attitude de toute la société qui transformera le métier d’éboueur pour un travail plus facile et plus attractif à la fois pour les hommes et les femmes.
S’il est difficile pour une femme d’exercer un métier « masculin », il souvent encore plus difficile pour un homme d’exercer un métier « féminin ». Pas de problème de force physique dans ce cas, mais le regard négatif de la société.
C’est sans doute ce qu’ont surmonté Loïc – qui estime que ce n’est pas parce que je suis un homme que je manque de compétences et qui dit : Je ne vois pas en quoi cela peut choquer que de faire appel à un assistant plutôt qu’à une assistante maternelle. Si votre enfant a un instituteur en petite section de maternelle, est-ce que vous allez le retirer de l’école sous prétexte que c’est un homme ? C’est ridicule – ou Frédéric – Aujourd’hui, les mentalités évoluent et je crois que mon parcours en est la preuve. Même si mon métier est essentiellement féminin, je n’ai aucun doute : être esthéticien, c’est un métier féminin et masculin.
Il y a bien sûr d’autres métiers qui mériteraient d’être cités. Mais il se trouve que dans les « objections » des élèves, filles comme garçons, ces exemples sont régulièrement mis en avant pour justifier, à leurs yeux, la difficile mixité de certains métiers. À nous de participer au changement de mentalité, tant auprès des jeunes que des adultes.
Huguette Klein,
Coordinatrice des commissions de la CLEF
Présidente de REFH (Réussir l’égalité Femmes-Hommes)